Le Cinéma japonais au surnaturel : les spectres de la J-Horror (2024)

Du vendredi 6 mai au mercredi 1er juin 2011

à la Maison de la culture du Japon (Paris)

Le Cinéma japonais au surnaturel : les spectres de la J-Horror (1)

En cette année 1998, ce fut d’abord comme une rumeur : un film japonais, réalisé par un inconnu, remportait un succès colossal, non seulement dans son pays d’origine mais à travers toute l’Asie. Il ne s’agissait pas d’un gros budget mais d’une série B d’épouvante, sans effet spéciaux ni hémoglobine, dont le final glaçait d’effroi les spectateurs : d’un écran de télévision émergeait un fantôme de jeune fille, vêtue de blanc. Ses longs cheveux tombaient sur son visage dont n’était visible qu’un œil dilaté qui pétrifiait ses victimes. Le titre même du film, Ring, était énigmatique.

Et de fait la rumeur s’avéra fondée : Ring d’Hideo Nakata n’était pas un film d’horreur comme les autres. Non content de revenir à des fondamentaux tels que la peur du noir et des créatures qui s’y dissimulent, il popularisa dans nos contrées un genre méconnu : le film de fantômes japonais. Ce qui intrigua les spectateurs occidentaux fut un rapport au fantastique très éloigné de notre pensée cartésienne. Les peuples d’Asie croient-ils d’avantage aux fantômes que les Occidentaux ? Cette question de la croyance, qui troubla nombre de critiques français à la sortie d’Oncle Boonmee d'Apichatpong Weerasethakul, se posait déjà pour le film d’épouvante japonais. La réponse se trouve peut-être dans les cimetières de Tokyo, comme celui d’Ikebukuro où repose le grand «fantastiqueur» Lafcadio Earn. A la différence des nécropoles occidentales, aucun mur ne sépare le cimetière du reste du quartier. Ainsi, à la nuit tombée, pur moment de poésie manga, on peut voir les écolières en costume marin rouler à vélo entre les tombes. Cette proximité des morts devient plus prégnante lorsqu’en juillet est célébrée O-bon, la fête des morts, équivalent de la Toussaint. Lors de ces étés bien souvent caniculaires, lorsque le soir apporte un peu de fraicheur, c’est le moment pour les Japonais de se raconter des histoires de revenants. C’est aussi la date rituelle des sorties de films de fantômes.

Le kaidan eiga et les fantômes du passé

Sadako était ainsi l’ambassadrice d’une tradition mais aussi de toute une culture cinématographique. Ce que nous appelons J-horror se nommait autrefois kaidan eiga (film de créatures de l’au-delà). Dès l’aube du cinéma japonais, dans les années 1910, le kaidan eiga adapta les pièces de kabuki ou les récits de Enchô San-yutei et tira son imagerie des estampes et peintures fantastiques. L’équivalent de Sadako se nommait alors Oiwa. Sa triste destinée fut contée en 1825 par Tsuruya Namboku IV dans la pièce kabuki Yotsuya Kaidan (Histoire du fantôme de Yotsuya). Oiwa était la malheureuse épouse de Iemon, un samouraï déclassé souhaitant se remarier avec une riche héritière. Défigurée par son mari, clouée à une planche et jetée au fond d’un étang, Oiwa revenait d’entre les morts pour réclamer justice. Oiwa et ses sœurs (citons les étonnantes femme-chats vengeant leurs maîtresses assassinées, Yuki Onna la belle femme des neiges dont l’époux humain trahit le serment) exprimaient bien sûr la colère des femmes japonaises pliant sous le joug de la domination masculine.

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Yuki Onna (Tokuzo Tanaka, 1968)

Si la légende d’Oiwa inspira nombre de cinéastes (Keisuke Kinosh*ta, Kenji Misumi, Tai Katô..), son plus brillant illustrateur reste Nobuo Nakagawa qui fut l’équivalent japonais d’un Terence Fisher ou d’un Mario Bava. Dans la version qu’il tourna en 1959 (en France, Histoire de fantômes japonais), les marais se teintent de rouge-sang et Oiwa se dresse, blafarde, dans la brume verdâtre. Les rares films de fantômes japonais à être arrivés jusqu’à nous, les prestigieux Contes de la lune vague après la pluie (1953) de Mizoguchi et Kwaidan (1964) de Masaki Kobayashi ne sauraient rendre compte à eux seuls de la richesse du genre, ni surtout de la violence macabre de son imagerie. Dans l’étonnant Jigoku (L’Enfer, 1960) de Nakagawa, tous les personnages (dont les 20 pensionnaires d’une maison de retraite) succombent à la 40e minute et se retrouvent aux enfers. On assiste alors à un festival de corps coupés en deux, de chairs brûlées et de damnés ébouillantés par de gigantesques démons écarlates. La modernité de Nakagawa s’ancre autant dans les couleurs morbides et les visions sanglantes, que dans un existentialisme le rapprochant de Yasuzô Masumura ou Nagisa Oshima (qui l’admirait). Le plan final, lugubre et fataliste, des Contes cruels de la jeunesse, réunissant dans la mort le visage des deux amants pourrait être tiré d’un film de Nakagwa.

Contes et légendes du Japon contemporain

Après l’aboutissem*nt esthétique que représentèrent les films de Nakagawa, le genre s’éroda pendant les années 60. A ces histoires à la trame usée, les spectateurs préféraient les polars ironiques de Seijun Suzuki ou les aventures du rônin hanté Kiyoshiro Nemuri. La crise des studios aidant, le kaidan eiga disparut presque complètement des écrans à partir des années 70. La géniale comédie pop House (1977) d’Ôbayashi demeure une exception, mais il s’agit d’une parodie. Pourtant, les Japonais n’avaient rien perdu de leur goût pour le frisson et le surnaturel. Ils étaient friands des romans de Seishi Yokomizo (La famille Inugami) ou des mangas fantastiques de Kazuo Umezu (dont House reprend les ambiances gothiques). La fin des années 70 vit aussi l’émergence de célèbres légendes urbaines : la femme défigurée, que Chris Marker évoque dans Sans soleil, et qui taillade les enfants à la sortie de l’école, ou encore Hanako-chan, le fantôme des toilettes du collège. Les fantômes avaient tout simplement besoin d’opérer une mue, de quitter leurs kimonos et d’abandonner les marais méphitiques d’Edo pour gagner le Japon contemporain.

A l’origine de la renaissance, on trouve les scénaristes Chiaki J. Konaka et Hiroshi Takahashi et les cinéastes Norio Tsuruta, Kiyoshi Kurosawa et Hideo Nakata. Aucun n’était issu des circuits classiques : ils avaient fait leurs armes à la télévision, dans le V-cinema (distribution directe en vidéo) ou le film érotique à petit budget. La nouvelle vague de cinéma d’horreur commença discrètement avec une anthologie éditée en vidéo : Scary True Stories (Histoires vraies, 1991), écrit par Chiaki J. Konaka et réalisé par Norio Tsuruta. Les héroïnes de ces «terrifiantes histoires vraies» étaient des adolescentes kawaii croisant des écoliers ensanglantés dans les escaliers du collège, terrorisées par une femme en rouge dans un gymnase nocturne ou poursuivies par des nageuses fantômes dans les vestiaires de la piscine. Aussi modestes soient-elles en apparence, les histoires de Konaka et Tsuruta furent les premiers jalons d’un double projet : moderniser la figure du fantôme et mettre à l’épreuve du fantastique l’architecture bétonnée et impersonnelle du Japon contemporain.

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Ju-on 2 (Takashi Shimizu, 2003)

Les cinéastes puisèrent également dans des formes populaires telles que les photographies de fantômes publiées dans les magazines à sensation ou les émissions reconstituant des phénomènes inexpliqués (Noroi (La Malédiction, 2005) de Kôji Shiraishi en est un pastiche). Cette culture sensationnaliste prenait d’une certaine façon la suite des récits fantastiques colportés par les voyageurs qui constituèrent la base des premiers recueils folkloriques (Les Histoires qui sont maintenant du passé) ou du Kwaïdan de Lafcadio Earn. Pour son roman Ring, Kôji Suzuki profita de ce regain d’intérêt pour le surnaturel et inventa la légende urbaine d’une cassette vidéo qui tue 7 jours après son visionnage. La J-horror dénote également le goût de ses auteurs pour certaines mythologies obscures mêlant science et ésotérisme : la nensha (la photo psychique) dans Ring, le mesmérisme dans Cure (1997) de Kurosawa, le phénomène Shaver (croyance en un peuple souterrain contrôlant l’humanité) dans Marebito (2004) de Shimizu.

Au-delà de la J-horror

On aurait tort de réduire la J-horror à une nuée de spectres échevelés et voutés hantant les télévisions et les puits. Plus que l’épuisem*nt d’un filon, le genre fut le terrain d’expérimentation d’une poignée de cinéastes cinéphiles, férus de littérature fantastique, dont les goûts rencontrèrent pendant une certaine période ceux du public. Après Ring, Hideo Nakata tourna Dark Water (2002), variation lugubre et déchirante sur le «haha-mono» (le genre du «film de mère») ; dans Kaïro (2001), Kiyoshi Kurosawa transforma les fantômes en créatures existentielles, symboles de la solitude dans un Tokyo déshumanisé. Asami, la femme fatale d’Audition (2002) de Takashi Miike, même si elle n’est pas à proprement parler une créature surnaturelle, en reproduit les attitudes et venge les femmes trompées et les enfants battus. Takashi Shimizu, le créateur de la série Ju-on (2000-2003), n’en finit pas de transformer sa maison hantée en laboratoire cinématographique, déstructurant le temps et l’espace autour des spectres de Kayako et de son fils Toshio.

Comme son prédécesseur des années 50, la J-horror connut un pic entre 2000 et 2005, avant de s’étioler, non sans avoir marqué le cinéma japonais même en dehors du film de genre. Eureka (2000) de Shinji Aoyama, Nobody Knows (2003) de Hirokazu Kore-eda ou encore Rebirth (2007) de Yasuhiro Kobayashi, peignent un Japon crépusculaire, étouffant, qui est comme le pays des morts. En tournant Tokyo Sonata (2009), Kiyoshi Kurosawa met en pratique, dans un cadre social, son travail des formes fantastiques. Il filme un peuple invisible : les fantômes de la crise économique. Ces salarymen au chômage errent dans Tokyo, font la queue à la soupe populaire en costumes et attachés-case, et passent la journée dans les bibliothèques publiques.

Même si les films de fantômes ne constituent plus une manne aussi lucrative qu’au début des années 2000, ils n’ont pas pour autant totalement disparu et comptent encore de belles réussites. La dernière en date est Kyôfu (Terreur, 2010) de Hiroshi Takahashi, le scénariste des 3 épisodes de Ring et de Orochi (2008) de Norio Tsuruta (adaptation parfaite d’un manga de Umezu). S’inspirant du roman gothique Le Grand Pan (1884) d’Arthur Machen, Takahashi invente une opération du cerveau ayant le pouvoir de faire voir l’au-delà. Le cobaye devenu une sorte de limace humaine, voit grandir dans son ventre une entité lumineuse capable de relier les vivants aux morts. Cette alliance de Grand-Guignol et de métaphysique prouve que la J-horror, loin d’être une forme figée, porte en elles les germes de sa renaissance.’

Le Cinéma japonais au surnaturel : les spectres de la J-Horror (4)

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Le Cinéma japonais au surnaturel : les spectres de la J-Horror (2024)

FAQs

Why is Japanese horror so much scarier? ›

The psychological staying power of introducing a vengeful spirit that is tied to an everyday object such as a house or a videotape is the true crux of Japanese Horror. It's likely far easier to say some random slasher isn't real than it is to believe that the shadow in the corner of the room isn't a ghost.

Why does Japan have scary stories? ›

These stories serve a dual purpose in Japanese culture, imparting moral lessons while instilling a sense of respect for the supernatural. Such narratives are interwoven with cultural values, and when you're learning a language, this is a great way to gain an understanding of ethics and societal norms.

Why is Japanese horror the way it is? ›

Japanese horror is horror fiction derived from popular culture in Japan, generally noted for its unique thematic and conventional treatment of the horror genre differing from the traditional Western representation of horror. Japanese horror tends to focus on psychological horror, tension building (suspense), and the ...

Is there any actually scary anime? ›

Of course, there's a lot more horror anime out there. That includes both straight-up horror and anime that's more horror-tinged, as anime has a tendency to be flexible with genre, like with horror-themed battle shonen series such as Jujutsu Kaisen or the more recent, grindhouse-inspired Chainsaw Man.

What Japanese horror movie has no jump scares? ›

Noroi is a film with no real jumpscares and no slick special effects, a film where not a drop of blood is spilt and all violence is mostly implied or happening off-screen. It is not frightening in spite of this: it's precisely so don't-watch-when-you-have-diarrhea terrifying because of this.

Which is the banned horror movie in the world? ›

The Human Centipede was banned altogether from Icelandic, British, and Australian theaters and released in the US without a rating. Its sequel, The Human Centipede 2, was placed under even heavier bans, due to its exacerbation of the horrific elements in the first film.

What is the scariest horror movie ever to exist? ›

100 Scariest Movies of All Time
  • Halloween. 20071h 49mR. ...
  • Repulsion. 19651h 45mNot Rated. ...
  • Jaws. 19752h 4mPG. 8.1 (667K) Rate. ...
  • Barbarian. 20221h 42mR. 7.0 (193K) Rate. ...
  • Eraserhead. 19771h 29mNot Rated. 7.3 (129K) Rate. ...
  • Children of the Corn. 19841h 32mR. 5.6 (58K) Rate. ...
  • Maniac. 19801h 27mR. 6.4 (20K) Rate. ...
  • Baskin. 20151h 37mNot Rated.

What is the bloodiest horror movie ever made? ›

A List of the Bloodiest/Goriest movies
  1. Dead Alive. 19921h 44mR. 7.5 (104K) Rate. ...
  2. Bad Taste. 19871h 31mNot Rated. 6.5 (49K) Rate. ...
  3. The Evil Dead. 19811h 25mNC-17. 7.4 (234K) Rate. ...
  4. Evil Dead II. 19871h 24mR. 7.7 (183K) Rate. ...
  5. Evil Dead. 20131h 31mR. ...
  6. Dead & Breakfast. 20041h 28mR. ...
  7. 100 Tears. 20071h 35mNC-17. ...
  8. Drive Thru. 20071h 23mR.

Why is censored in Japan? ›

The practice of censorship were carried out "to protect public order 'annei' and the manners and morals 'fuzoku'" in Japan.

Why does Japan have so little crime? ›

Perhaps the most important reason why Japan has such a low crime rate is Japanese culture and the Japanese “kokuminsei,” or national character. It is well known that the Japanese value social harmony, observe hierarchy, and prefer to avoid conflict.

What is the red scare in Japanese? ›

The Red Scare in Japan refers to the promotion of fear of the rise of communism or radical leftism in Japan. Throughout the history of Imperial Japan, the government suppressed socialist and communist movements.

Why is hair in Japanese horror? ›

With the potential to be possessed by malevolent kami (spirits), it is little surprise that disorderly and dangerous hair, which possesses the power to attack and kill the living, provides a source of horror in Japanese cinema and is one of its most identifiable tropes. While, until recently, censorship of female pubic ...

What is the name of the horror girl in Japan? ›

Kuchisake-onna (口裂け女, 'Slit-Mouthed Woman') is a malevolent figure in Japanese urban legends and folklore. Described as the malicious spirit, or onryō, of a woman, she partially covers her face with a mask or other item and carries a pair of scissors, a knife, or some other sharp object.

Why is Japanese stuff so scary? ›

So what makes Japanese movies so “scary”? Many Japanese films are centered around vengeful spirits. They take place in people's ordinary lives, giving the impression that this could happen to the viewer too at any time. Everyday items become deadly, and everyday places become haunted.

Why is Japanese horror so unique? ›

Japanese horror's origins are tangled in the wet, black tresses of traditional ghost stories. As such, it evokes a kind of dread that transcends typical western horror, harking back to an age of ancient beliefs, ethereal beings, and cautionary tales passed down through generations.

Why are Japanese horror games scary? ›

Origins of Japanese horror itself stems back to the Edo and Meiji period which is where much of the Japanese folklore that we know today traces back to. Japanese horror games are often inspired by these classic traits and draw you into their bizarre and terrifying worlds - no matter how horrified you may be, you just ...

What is the scariest genre of horror? ›

What is the Scariest Type of Horror Story?
  • Paranormal horror—spooks give many of us, well, the spooks.
  • Horror-thriller—scarier to some because they're not supernatural, but grounded in reality.
  • Body horror—plays on instinctual fears around physical violation and mutilation.
Oct 24, 2022

What is Japanese horror called? ›

Known as kaiki eiga or "strange films," domestic horror movies based on classic Edo period (1603-1868) ghost stories, as well as imported pictures like Dracula (1931) and Frankenstein (1931), were a mainstay of commercial genre cinema in Japan from the silent era through the 1960s, and wielded an influence on the so- ...

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Author: Fredrick Kertzmann

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Name: Fredrick Kertzmann

Birthday: 2000-04-29

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Job: Regional Design Producer

Hobby: Nordic skating, Lacemaking, Mountain biking, Rowing, Gardening, Water sports, role-playing games

Introduction: My name is Fredrick Kertzmann, I am a gleaming, encouraging, inexpensive, thankful, tender, quaint, precious person who loves writing and wants to share my knowledge and understanding with you.